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Rapport de suivi des observations finales du CIDESC concernant le rapport initial du Burkina Faso

Depuis les observations finales du rapport initial formulées en 2016, plusieurs mesures ont été adoptées ou annoncées par les autorités burkinabè en vue d’améliorer les droits économiques, sociaux et culturels. En effet de la multitude d’observations formulées quatre points ont été retenus par l’université Joseph KI Zerbo pour le suivi. Il s’agit notamment des droits syndicaux, la corruption, des violences envers les femmes et le droit à l’éducation.

De l’examen de ces points il ressort l’état des lieux suivants :

Source: https://knowledge4policy.ec.europa.eu

Des droits syndicaux

Le Comité engage l’État partie à veiller que son cadre législatif sur les droits syndicaux soit en conformité avec l’article 8 du Pacte, tout en prenant en compte la Convention de 1948 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (no 87) et la Convention de 1949 de l’OIT sur le droit d’organisation et de négociation collective (no 98). Il engage également l’État partie à protéger les travailleurs syndiqués et leurs dirigeants contre les actes d’intimidation, notamment en veillant à ce que ce type d’agissements fasse l’objet d’enquêtes et que les responsables soient systématiquement jugés et sanctionnés.

Depuis le dernier passage du Burkina Faso au CDESC nous pouvons retenir que du point de vue des droits syndicaux, le cadre législatif n’a pas évolué en ce sens qu’aucune disposition législative n’a été adoptée afin de protéger les droits et libertés syndicales conformément aux recommandations du CDESC.

S’agissant de la protection des travailleurs syndiqués et leurs dirigeants contre les actes d’intimidation, le constat dans la pratique permet de relever que l’Etat ne semble pas pour le moment procéder à la mise en œuvre de cette recommandation. Les faits et évènements ci-après confortent la position selon laquelle les droits syndicaux depuis 2016 connaissent un recul :

  • Le 16 septembre 2019, une marche pacifique organisée par plus de vingt (20) d’organisations de la société civile (OSC) dont la Confédération Générale du Travail du Burkina (CGT-B) et l’Union d’Action Syndicale (UAS) a été violemment réprimée par les Forces de Défense et de Sécurité.  Cette   répression a occasionné plusieurs blessés.
  • Le 14 novembre 2018, le conseil des ministres a décidé d’interdire les activités du syndicat national de la garde de sécurité pénitentiaire (SYNAGSP) pour « manquement à la législation encadrant les activités syndicales ». Suite à cette décision, l’ensemble des syndicats ont invité le gouvernement à reconsidérer urgemment cette décision. Selon le comité de la liberté syndicale du BIT, les mesures de suspension ou de dissolution par voie administrative constituent de graves violations de la liberté syndicale (article 4 de la convention n 87).
  • Le 21 mai 2018, le gouvernement empêche la tenue de piquet de grève. Dix-huit syndicats ont dénoncé, en mai, la violation par le gouvernement burkinabè de leurs libertés syndicales, notamment en ce qui concerne la pratique, pourtant courante, de sit-in pour exprimer leur mécontentement et exercer leur droit syndical. En effet, à l’issue d’un conseil de ministre, le gouvernement a déclaré le 2 mai tout sit-in illégal. Au commencement de leur grève de 120 heures sur tout le territoire national, les agents du MINEFID ont ainsi été empêché par la police d’accéder à l’enceinte du ministère pour tenir leur piquet de grève.
  • Le 20 janvier 2018 : obstacles à l’organisation d’activités syndicales. Selon le syndicat national des travailleurs du bois et du bâtiment (SNTBB), les employeurs usent de prétexte fallacieux pour gêner l’organisation des activités des syndicats. Le SNTBB rapporte que de nombreux employeurs refusent de libérer les travailleurs en prétextant des questions d’organisation du travail. En 2017, la SOGEA-SATOM, une multinationale française, a refusé de libérer les travailleurs afin qu’ils puissent participer à une campagne de sensibilisation sur les conventions 87 et 98 de l’OIT organisée par le SNTBB sous prétexte que l’entreprise accusait un retard sur le délai d’exécution du chantier en cours.
  • Le 07 janvier 2020 des travailleurs du secteur privé se voient refusés du droit de se syndiquer dans le secteur minier, où les embauches se font principalement à travers d’agences temporaires et d’entreprises de sous-traitance, les travailleurs qui choisissent de se syndiquer sont soit intimidés, mutés et même licenciés par leur employeur, notamment dans les entreprises suivantes : les mines d’or gérées par Iamgold SA, Norgold SA, Avocet Mining, Andover Mining
  • L’affaire Alliance Police Nationale (APN) avec le licenciement des policiers. Ces derniers ont saisi la justice et ont remporté le procès. Cependant l’Etat a mis du temps (01 an) dans leur réintégration
  • Courant 2020 dans le domaine éducatif, des enseignants ont vu leurs salaires suspendre pour fait de grève
  • En 2021, le secrétaire général du CGT-B a été convoqué par le conseil de discipline pour n’avoir pas respecté son volume horaire de travail. Cette mesure remet en cause la convention de l’OIT sur les permanences syndicales.
Scenery in the Kongoussi area, Burkina Faso. Copyright: http://www.olliviergirard.com

De la corruption

Le comité a recommandé l’Etat du Burkina à redoubler d’efforts dans la lutte contre la corruption, les flux financiers illicites et l’impunité qui y est associée, et de garantir la transparence absolue dans la conduite des affaires publiques, en droit et dans la pratique. Aussi, il de sensibiliser les responsables politiques, les parlementaires et les fonctionnaires nationaux et locaux aux coûts économiques et sociaux de la corruption, ainsi que les juges, les procureurs et les agents des forces de l’ordre à la stricte application de la législation.

Pour se conformer aux recommandations ci-dessus citées, des avancées notables sont à relever.

Sur le plan normatif et institutionnel, il y a eu :

  • L’adoption de la loi n°033-2018/AN du 26 juillet 2018 portant modification de la loi n°004-2015/CNT du 03 mars 2015 portant prévention et répression de la corruption au Burkina Faso ;
  • L’adoption de loi n°016-2016/AN du 3 mai 2016 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au Burkina Faso ;
  • La création des pôles judiciaires spécialisés auprès des TGI de Ouaga II et de Bobo-Dioulasso. Ces TGI sont désormais compétents pour connaitre dans des conditions prévues par la loi, des infractions de très grande complexité en matière économique et financière et en matière de criminalité organisée ;
  • La création de la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) par la loi 016-2016/AN du 03 mai 2016 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au Burkina Faso. La cellule a reçu sur la période de 2008 au 30 septembre 2020 un portefeuille total de 1 159 déclarations d’opérations suspectes (DOS).
  • L’adoption de l’arrêté n°2017-009/MJDHPC/CAB du 7 septembre 2017 créant un Comité anti-corruption (CAC-MJ) au sein ministère en charge de la justice et des droits humains.
  • L’adoption d’une stratégie de dynamisation des Comités Anti-Corruption du MINEFID assortie d’un plan d’actions. 31 missions d’information et de sensibilisation des agents du MINEFID ont été menées à Ouagadougou et dans les régions. Par ailleurs, l’évaluation des dispositifs de contrôle interne de 28 structures et 05 programmes budgétaires du MINEFID a été faite.
  • L’élaboration d’une nouvelle stratégie de lutte contre le BC/FT qui sera assortie d’un plan d’action 2021-2025. Des actions de renforcement des capacités opérationnelles des différents acteurs permettront de renforcer la lutte contre les flux financiers illicites.

En matière d’actions entreprises, il y a :

  • La promotion de la déontologie et de l’éthique professionnelle au sein de l’appareil judiciaire qui s’est traduite par la création, par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), d’une commission d’admission des requêtes contre les manquements des magistrats
  • Entre 2015 et 2018, une Campagne d’information et de sensibilisation sur la loi anti-corruption a été organisée au profit des leaders d’opinion, religieux, coutumiers, responsables politiques, administratifs, associatifs, jeunes et femmes dans 113 localités du pays (départements/Communes).
  • Des activités de contrôle, d’audit et des investigations sont régulièrement menées tout au long de l’année par l’ASCE-LC et le REN-LAC afin de prévenir, de détecter et de réprimer la corruption et les infractions assimilées. De ce fait, les autorités de la transition ont instruit à l’ASCE-LC, la conduite d’audit au sein de l’assemblée nationale, de plusieurs ministères et d’établissement publics de l’Etat afin de détecter des cas éventuels de mal gouvernance.

Malgré ces efforts entrepris par l’Etat on a pu déplorer des cas emblématiques de corruption qui n’ont toujours pas connu de suite à la justice. C’est le cas notamment de l’affaire du charbon fin où le ministre en charge des mines a été directement impliqué, l’affaire du maire de Ouagadougou sur l’acquisition des véhicules au profit de la commune dans laquelle est impliquée un acteur judiciaire.

Source: vluchteling.nl

Des violences envers les femmes

Le Comité engage l’État partie :

A réviser sa loi portant prévention, répression et réparation des violences à l’égard des femmes et des filles et prise en charge des victimes, afin de pénaliser tout acte de viol entre époux, sans conditions ;

A garantir l’accès à la justice aux victimes de violence familiale, violence sexuelle, et violence contre les femmes âgées accusées de sorcellerie, en encourageant le signalement des infractions et en veillant à ce que les auteurs soient poursuivis et condamnés ;

À redoubler d’efforts dans sa lutte contre les mutilations génitales féminines, notamment en agissant sur la base d’études, corroborées par des données empiriques, sur les causes profondes de ces pratiques et en menant une campagne de sensibilisation continue contre ces pratiques ;

A garantir l’accès des victimes à des services adéquats de rétablissement, de conseil et de réhabilitation, et de prendre des mesures pour sensibiliser les agents chargés de l’application des lois ainsi que le public, à l’élimination de toute forme de violence à l’égard des femmes.

Le Comité se réfère à cet égard à son observation générale no 22 (2016) sur la santé sexuelle et reproductive.

Pour le moment, une révision de la loi no 061-2015/CNT du 6 septembre 2015 portant prévention, répression et réparation des violences à l’égard des femmes et des filles et prise en charge des victimes n’est pas entreprise.

Seulement, la question de l’opportunité de sa révision se pose actuellement dans la mesure où le contenu de la loi a été largement reversé dans le nouveau code pénal et assorti de sanctions. Ce qui donne désormais au juge les moyens de réprimer les différentes formes de violences à l’égard des femmes.

Toutefois, la question du viol entre époux implicitement prise en charge dans la loi 061, a été reprise par la révision du code pénal de 2018 avec pour modification le rehaussement de la peine d’amende à l’encontre des auteurs passant de 100.000 FCFA minimum à 250 000 FCFA. En effet, ce code dispose en son article 533-12 que « lorsque le viol est commis de manière répétitive sur une partenaire intime et habituelle avec qui l’auteur entretient des relations sexuelles stables et continues ou lorsque ladite partenaire est dans une incapacité physique quelconque d’accomplir une relation sexuelle, la peine est d’une amende de deux cent cinquante mille (250 000) à six cent mille (600 000) francs CFA ».

Même si cette disposition permet de réprimer indirectement le viol entre époux, elle n’institue qu’une répression pécuniaire dérisoire comparativement à la répression prévue pour le viol en général.

En plus, la condition de répétition de l’acte est ambiguë car ne précise pas le nombre de fois qu’il doit être posé afin d’être considéré comme répétitif et passible de sanction. D’ailleurs, la preuve à apporter pour les cas de viol est difficile à établir et les frais des examens sont coûteux et à la charge des victimes très souvent (par exemple la victime doit débourser 15 000 FCFA pour obtenir un certificat médical pour viol).

Relativement à l’accès la justice aux femmes victimes de violence, l’Etat du Burkina Faso a prévue des mesures pour faciliter cet accès. Il s’agit de la relecture en 2021 du décret portant organisation de l’assistance judiciaire qui permet aux femmes victimes de violences de bénéficier d’office de l’assistance judiciaire.

Par ailleurs, le Burkina Faso a posé des actions concrètes telles que les actions de sensibilisation lors des journées internationales de la femme, les 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes, à travers des thématiques intéressant la protection de la femme. En décembre 2020, les services techniques du ministère de la femme en ont pris en charge 4 253 femmes et filles victimes de mariages d’enfant, de coups et blessures volontaires, de viols, d’exclusion pour allégation de sorcellerie, de mutilations génitales féminines.

Un pas de plus dans la volonté du gouvernement de promouvoir le genre et de lutter contre les VBG, numéro vert (80 00 12 87) d’alerte et de dénonciation des VBG a été mis en place le 02 mars 2021 par le ministère en charge de la femme avec l’appui du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA). Depuis le lancement du numéro, 1117 cas ont été enregistrés par le centre d’appel mis en place à cet effet à la date du 31 octobre 2021 dont 40,72% de ces dénonciations sont des violences conjugales.

Recommandations au CDESC d’engager l’Etat de : 

  1. Mettre en place les organes spécialisés de lutte contre les violences à l’égard des femmes et des filles, et opérationnaliser le fonds de prise en charge des victimes.
  2. Réviser le code des personnes et de la famille pour instituer un âge minimum de mariage de 18 ans égal pour l’homme et la femme pour toutes les formes de mariage ;
  3. Opérationnaliser les centres de prise en charge des victimes des violences
  4. Procéder à la reconnaissance et à l’enregistrement des mariages coutumiers et religieux afin de lutter contre les violences faites aux femmes ;
  5. Interdire et sanctionner proportionnellement les violences faites aux filles et femmes travailleuses domestiques ;
  6. Exiger le salaire minimum pour les filles et femmes travailleuses domestiques et veiller à poursuivre et sanctionner les employeurs mauvais payeurs ;
  7. Poursuivre les campagnes de sensibilisation sur les droits de la femme surtout en milieu rural ;
  8. Décentraliser le Programme d’autonomisation économique des femmes et des filles afin de permettre aux femmes rurales de pouvoir postuler facilement ;
  9. Réviser la loi n°061-2015/CNT pour redéfinir le viol conjugal et le réprimer proportionnellement à la gravité de l’infraction ;
Source: globalpartnership.org

De l’accès à l’éducation

Le Comité recommande à l’État partie de renforcer les mesures tendant à garantir l’application effective de la gratuité des frais de scolarité au niveau de l’enseignement primaire et, progressivement, au niveau secondaire; d’assurer la mise en œuvre du Plan de développement stratégique de l’éducation de base pour garantir l’accès de tous les enfants au système éducatif, en mettant un accent sur l’enseignement préscolaire et en encourageant l’éducation inclusive pour les enfants ayant un handicap; et de remédier d’urgence au taux élevé d’abandon scolaire dans le primaire et le secondaire, particulièrement pour les filles, par la mise en œuvre de la Stratégie nationale d’accélération de l’éducation des filles. Il lui recommande aussi d’améliorer la qualité et l’infrastructure des écoles, en particulier dans les zones rurales, et de poursuivre ses efforts dans le cadre du plan d’alphabétisation.

L’Etat du Burkina Faso a pris un nombre de mesures et programmes. Il s’agit entre autres :

  • De l’adoption de la stratégie nationale d’accélération de l’éducation des filles 2012- 2022, à travers la mise en œuvre du projet d’amélioration de l’accès et de la qualité de l’éducation pour les enfants issus des milieux défavorisés
  • La mise en place de lycées scientifiques afin de mettre l’accent sur les disciplines scientifiques.
  • L’adoption de politique sectoriel de l’éducation et de la formation 2017-2030
  • La construction de 132 Complexes scolaires accueillant les filles dans 10 provinces
  • Le programme de normalisation des classes au niveau du primaire qui a permis d’effacer 300 classes sous paillote effacées 2020.

Cependant, la situation d’insécurité a exacerbé les cas de violations du droit à l’éducation. En effet à la date du 10 mars 2022, 3683 écoles sont fermées affectant ainsi 590.327 élèves et 17.309 enseignants. Ces statistiques représentent 14,71% des structures éducatives.  Ces faits privent ces enfants du droit à l’éducation. Par ailleurs, on note l’abandon scolaire des filles du fait des mariages précoces et forcés

Recommandations au CDH d’engager l’Etat de :

  1. Réviser la loi n°013-2007 d’orientions de l’éducation au Burkina afin de prendre en compte la question de la répression de la violation à l’obligation de maintenir l’enfant dans l’enseignement de base jusqu’à l’âge de 16ans
  2. Prendre des mesures afin d’atténuer les écarts des inégalités entre élèves issus des milieux défavorisés notamment les zones d’insécurité et les zones favorisés
  3. Prendre des mesures administratives afin d’inclure les enfants vivant avec un handicap dans les établissements scolaires d’enseignement général notamment en prévoyant des rampes d’accès pour les élèves vivant un handicap

Ont élaborés : 

Mathias NADINGA

Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme

Issouf BELEM

Mouvement Burkinabè des Droits de l’Homme

Youssouf MAIGA

Ministère de la Justice, des droits Humains et des relations avec les Institutions

Sombouda Mathias KABORE

Ministère de la Justice, des droits Humains et des relations avec les Institutions

Sandrine Régine Rita Nina MILLOGO

Association des Femmes Juristes du Burkina Faso

Véronique ZANGRE

Association des Femmes Juristes du Burkina Faso

Mouhyidine OUEDRAOGO

Centre d’Information, de Formation en matière de Droits en Afrique

Eugenie WARE

Centre pour la Gouvernance Démocratique 

Fatimata DEME

Association des Bloggeurs du Burkina

Rapporteur

Abel KAFANDO 

Centre pour la Qualité du Droit et la Justice 

Sous la Coordination :

Dr. Dié Léon KASSABO

Enseignant Chercheur à l’Université Thomas SANKARA

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Follow-up reports Niger UN ESC Committee

Rapport de suivi de certaines recommandations adressées par le Comité DESC à l’Etat du Niger à l’issue de l’examen de son rapport initial sur l’état de la mise en œuvre du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

Atelier en ligne pour la formation et l’échange sur :

Le Système de Protection des Droits de l’Homme des Nations Unies

11 – 13 avril 2022

Groupe en charge de rapport de suivi des DESC /UAM

Avril 2022

Introduction

Dans le cadre des activités du projet de TMT+ OKP-SHL-20049, intitulé « Faciliter l’émergence d’une communauté régionale de pratiques pour renforcer la résilience des communautés au Sahel », il a été organisé un atelier en ligne (distanciel) de renforcement de capacités de 3 Universités au Sahel (USJPB/Mali, UAM/Niger et UJKZ/Burkina Faso).  Tenu du 11 au 13 Avril, cet atelier vise à familiariser les participant (e)s avec le « Système de Protection des Droits de l’Homme des Nations Unies ». Dans cette perspective, il a été développé à l’intention des participant (e)s des communications sur les mécanismes de suivi des rapports par les organes de traités, en particulier le comité des droits de l’homme (CDH) et le comité de surveillance de la mise en œuvre du Pacte relatif aux droits économiques sociaux et culturels (CDESC). Après cette phase préparatoire, il a été mis en place deux groupes de travail par pays, l’un devant produire un rapport de suivi des recommandations formulées par le CDH et l’autre devant travailler sur les recommandations formulées par le CDESC.

Le présent rapport de suivi est produit par le groupe DESC du Niger. Son objet est de fournir des éléments d’appréciation sur les efforts fournis par l’Etat du Niger en matière de mise en œuvre des recommandations adressées, en 2018, à son endroit par le comité DESC des Nations Unies à l’issue de l’examen du rapport initial soumis par l’Etat du Niger en 2017, conformément à l’article 17 du PIDESC.

Ne pouvant traiter de toutes les recommandations formulées à cette occasion, le groupe de travail a estimé judicieux de focaliser son rapport de suivi sur trois grappes de recommandations articulées autour du (I) rapport droit coutumier et droits de l’homme en droit interne nigérien, de la situation des (II) Institutions nationales des droits humains et du (III) droit à l’alimentation.

I. Droit coutumier et droits de l’homme

A : Recommandation du Comité DESC :

Après avoir regretté que « le cadre légal de l’État partie n’établit pas clairement que le droit coutumier doit respecter les obligations internationales de l’État partie en matière de droits de l’homme », le Comité DESC a recommandé à l’État du Niger « d’adapter son cadre légal afin qu’il soit clairement établi qu’en cas de conflit ses obligations internationales en matière de droits de l’homme priment le droit coutumier ». 

B) Eléments de suivi de la recommandation par le groupe de travail DESC :

A ce sujet le groupe de travail fait remarquer que :

-i) La constitution en vigueur au Niger (art 171) place les normes internationales au-dessus des lois internes, en ces termes : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité de son application par l’autre partie » ;

-ii) La loi No2018-37 du 1er juin 2018, (art 72) précise que les juridictions appliquent la coutume des parties (…) « sous réserve du respect des conventions internationales régulièrement ratifiées » ; en vérité cette date de la loi organique N°2004-50 du 22 juillet 2004 fixant l’organisation et la compétence des juridictions en République du Niger (art 63)[1].

Au surplus, cette disposition a connu, au moins, une application contentieuse par la cour suprême (arrêt No06142 du 18 Mai 2006) qui précise que « toute coutume qui n’est pas conforme aux conventions internationales régulièrement ratifiées doit être écartée ».

Il s’ensuit, par conséquent, en droit nigérien, que la norme coutumière ne s’applique que dans la mesure où elle n’est pas frontalement contraire aux obligations internationales conventionnelles de l’Etat du Niger. 

II. Institution nationale des droits de l’homme

A : Recommandations du Comité DESC :

A ce sujet, les recommandations adressées à l’Etat du Niger visent principalement à garantir l’indépendance de la commission nationale des droits Humains (CNDH), conformément aux principes de Paris, à travers des mesures visant à unifier le processus de sélection de ses membres, à renforcer la représentation des femmes dans la Commission et son personnel, et à doter la CNDH des ressources suffisantes, etc.

B) Eléments de suivi de la recommandation par le groupe de travail DESC :

A ce sujet, s’il est vrai qu’il a été relevé l’adoption de la loi No2020-02 du 06 Mai 2020 modifiant et complétant la loi No2012-44 du 24 Aout 2012 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la CNDH), force est de constater que cette révision est limitée à élargir le mandat de la CNDH au mécanisme de prévention de la torture. 

Cet élargissement du mandat de la CNDH constaté en 2020, s’il a le mérite d’être acté, force est, malheureusement, de constater qu’il n’est pas accompagné d’un accroissement des ressources budgétaires de cette institution. 

S’agissant de la recommandation relative à l’unification du processus de sélection des membres de la CNDH ; la situation n’a pas évolué à ce sujet. En effet, sur les neuf (9) commissaires qui composent la CNDH, sept (7) sont « élus » par leurs pairs ; les deux autres personnalités ne sont pas élues mais nommées pour « représenter l’assemblée nationale » (art 3 de la loi No2012-44 du 24 Aout 2012). 

En ce qui concerne la participation des femmes, il convient noter une relative avancée ; car, à la différence de l’équipe précédente qui n’en comptait qu’une, celle dont le mandat est en cours compte deux (2) femmes sur neuf (2) commissaires, soit 22%.

III. Droit à l’alimentation

A : Recommandations du Comité DESC :

A ce sujet, le Comité recommande, en substance, à l’État du Niger, non seulement « d’adopter une loi-cadre sur le droit à l’alimentation », mais aussi de mettre pleinement en œuvre l’Initiative 3N (« les Nigériens nourrissent les Nigériens») et d’accroître les efforts pour améliorer la productivité des petits producteurs agricoles en favorisant l’accès de ces derniers aux technologies appropriées et aux marchés, afin d’améliorer les revenus en zone rurale ; tout comme il lui est recommandé de collecter des données ventilées sur la prévalence de la faim et de la malnutrition, notamment par sexe, par âge et par milieu de vie (rural/urbain). 

B) Eléments de suivi de la recommandation par le groupe de travail DESC :

S’agissant de la loi-cadre sur le droit à l’alimentation, il a été constaté qu’un texte de « proposition de loi portant loi-cadre sur le droit à l’alimentation » a été adressé le 4 octobre 2021 au Président de l’Assemblée Nationale par un député, en l’occurrence le 4eme vice-président de l’Assemblée Nationale. Le président de l’Assemblée Nationale, à son tour, comme le veut la procédure en la matière (Art 63.1/RI), a communiqué ladite proposition de loi au Gouvernement pour avis par lettre datée du 11 octobre 2021 ; Mais l’avis donné par le Gouvernement, par lettre No0160/SGG/DGL/DCCCM du 25 Octobre 2021, parait plutôt défavorable à l’adoption d’une loi cadre relative au droit à l’alimentation ; Selon l’avis du Gouvernement « cette proposition de loi sur l’alimentation n’est pas justifiée et pourrait exposer l’Etat à des charges financières difficilement supportables quand on sait que plus de 40% de la population nigérienne vit en dessous du seuil de la pauvreté ». Une telle posture du Gouvernement nigérien est curieuse, car l’adoption d’une loi relative au droit à l’alimentation découle non seulement des obligations internationales du Niger, mais aussi des prescriptions de la constitution dont l’article 12 énonce fort explicitement que : « chacun a droit {…} à une alimentation saine et suffisante dans les conditions définies par la loi ».

Toutefois, en dépit de cette résistance du Gouvernement, la proposition de loi demeure dans le circuit d’examen, sans visiblement une réelle chance d’être adoptée, au regard de l’influence factuelle qu’exerce le Gouvernement sur le vote des députés de la majorité.

En ce qui concerne la mise en œuvre des politiques publiques pour accroitre la productivité ; il faut noter qu’en dépit des efforts, importants, fournis par le Gouvernement, la situation alimentaire demeure très préoccupante. En effet, le bilan de la campagne agricole écoulée (établi en décembre 2021) indique que « la production céréalière brute par habitant (160 Kg/habitant), en 2021, est la plus faible depuis plus de 20 ans, et le déficit céréalier est le plus important depuis 20 ans »[2]. A cela s’ajoute un bilan fourrager lui-même déficitaire « de l’ordre de 15 269 916 TMS soit 45,82% » du besoin de cheptel national.

Consécutivement à ces déficits combinés à plusieurs autres facteurs, le nombre de personnes en insécurité alimentaire est estimée, pour l’année 2022, à « 8 346 995 personnes dont 2 554 833 personnes en insécurité alimentaire sévère »[3] et 5 792 162 personnes « sous pression »[4]. Selon les projections des mêmes experts, ce nombre des personnes en insécurité alimentaire pourrait atteindre, courant la soudure 2022, environ « 10,7 millions de personnes dont «3 616 244 en insécurité alimentaire sévère et 7 090 816 personnes sous pression ».

Conclusion

Au regard de ce qui précède, le groupe de travail prie le Comité DESC d’inscrire les principales préoccupations précédemment relevées sur la liste des points à traiter lors du futur examen du deuxième rapport attendu de l’Etat du Niger au plus tard le 31 Mars 2023. Autrement dit les points qu’il convient d’inscrire sur la liste des thèmes à traiter sont :

-Adopter une loi cadre relative au droit à l’alimentation ;

-Consacrer davantage de ressources en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte, notamment en matière du droit à l’alimentation, de protection sociale, de santé et d’inspection du travail, conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. 

i- Accroître ses efforts pour améliorer la productivité des petits producteurs agricoles en favorisant l’accès de ces derniers aux technologies appropriées et aux marchés, afin d’améliorer les revenus en zone rurale ;

ii- Collecter des données ventilées sur la prévalence de la faim et de la malnutrition, notamment par sexe, par âge et par milieu de vie (rural/urbain).

iii- Sensibiliser la population ainsi que les juges, les avocats et les autres agents publics aux droits du Pacte et à leur justiciabilité. 

iv- Doter la Commission Nationale des droits humains de ressources suffisantes permettant à celle-ci d’accomplir pleinement son mandat.

v- Garantir un processus unifié d’élection des commissaires ainsi qu’une composition permettant d’assurer à la commission nationale des droits humains toute son indépendance, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) ; 

Rapporteur

 Ibrahim DIORI

Membres du Groupe :

Pr. Bachir Talfi Idrissa, agrégé des facultés de droit, FSJP /UAM ;

Pr. Adamou Rabani, agrégé des facultés de droit, FADG /UT ;

Mr Abibou Mounkaila, juriste, consultant externe du projet ;

Mr Ibrahim Diori, doctorant en droit public, FSJP/UAM, membre de l’association Alternative Espaces Citoyens (AEC-Niger) ;


[1] Pr Bachir Talfi Idrissa, quel droit applicable à la famille au Niger ? le pluralisme juridique en question, 2008.

[2] PAM, Niger : Crise alimentaire 2021-2022, synthèse des évidences, 29 décembre 2021.

[3] Rapport présenté par l’Etat du Niger (ministère de l’agriculture) à l’intention de la concertation régionale sur l’insécurité alimentaire et nutritionnelle au sahel et en Afrique de l’ouest, tenue du 24 au 26 novembre 2021, à Banjul/Gambie, sous l’égide du RPCA. p. 47.

[4] Selon les termes du rapport susmentionnés, par personnes sous pression, il faut entendre celles qui « ont une consommation alimentaire minimale et ne sont pas capables de se permettre certaines dépenses non alimentaires essentielles sans s’engager dans des stratégies d’adaptation négatives irréversibles ».